vendredi 29 avril 2011

Entretien avec odile Sankara

Vous vous appelez Odile Sankara. Vous êtes la  sœur cadette de Thomas Sankara, un illustre révolutionnaire africain. Vous avez choisi d’être comédienne plutôt qu’autre chose. Pourquoi un tel choix ?
Pourquoi j’ai choisi d’être comédienne, ce n’est pas venu tout d’un coup au début. Déjà à la fac (à l’université), j’ai choisi les arts du spectacle et on étudiait les grands auteurs classiques et ça m’a donné l’envie d’épouser cet art et surtout que j’ai eu la chance de rencontrer le directeur metteur en scène de la compagnie ‘’Feeren’’ qui voulait mettre en place la première compagnie à vocation professionnelle du Burkina, Amadou Bourou.
Je suis resté dans cette compagnie durant des années, c’est donc lui qui m’a formé. Mais ce n’était pas un choix que j’ai fait comme ça, j’avais fini les études que j’ai arrêtées en licence, et comme je ne faisais rien d’autre, et comme j’aime bien le domaine artistique et culturel, je vais aller lâ.
Petit à petit donc il m’a convaincu qu’on peut en faire un métier. Nous, on croyait pas du tout. Et puis, c’était vraiment en attendant un boulot.
Et puis petit à petit le fait de jouer m’a donné l’envie et surtout ce qui m’a fait décider, c’est que subitement je me suis rendu compte que c’est le lieu de la liberté même si la liberté n’est pas totale, le lieu ou l’on pouvait prendre un minimum de liberté parce qu’on parle et les gens vous écoutent. Et moi en tant que venant d’une société fallocrate, hiérarchie de la société au Burkina, alors la femme n’existe pas : et pour moi, c’était une façon, mon choix définitif de faire le théâtre, c’était ma façon de pouvoir exister en tant que femme et de pouvoir prendre la parole.
Moi, ça me fait mal de voir certaines femmes qui ont du talent mais qui n’arrivent pas à se libérer.

Vous avez joué dans une pièce intitulée Mitterrand et Sankara de Jacques Jouet dans une mise en scène  Jean-Louis Martinelli.  Est-ce là une façon  pour vous de perpétuer la mémoire de votre frère ?
Disons que j’ai pris le rôle par hasard, c’était une comédienne du Burkina Justine qui le jouait initialement (paix à son âme), et puis après son décès il voulait reprendre le spectacle parce qu’il y avait beaucoup de gens qui voulaient du spectacle. C’est la qu’il m’a approché, il a entendu parler de moi, il veut que je prenne le rôle du théâtre simple dans le spectacle. Il y a deux personnages : Mitterrand et Sankara.
Au spectacle on s’était déjà rencontré sur une idée pour un spectacle à monter. J’ai accepté, mais c’est un hasard parce que s’il m’avait approché comme ça sans qu’on ait travaillé au préalable, je n’aurais pas accepté. C’est vrai que tout de suite j’ai pas réalisé, mais l’on a joué plusieurs fois (avec des tournées en Afrique centrale et de l’ouest, en France), et c’est en le jouant que j’ai compris que ce n’était pas seulement un simple spectacle comme je joue les autres spectacles. Il y avait ici un engagement parce que je lisais le discours de Lomé de 1984 au début et l’autre actrice lisait le discours de la Bonne de 1986.
J’ai trouvé que c’était plus qu’un spectacle, mais c’était un message plus fort, un engagement politique.

Odile, vous exercez aujourd’hui un métier difficile, celui  de comédienne engagée ou si vous préférez de comédienne tout court. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en tant que femme surtout ?

J’ai toujours dit à mes sœurs que nous ne sommes pas logées à la même enseigne que les hommes quant au regard social. Et une femme comédienne d’abord, il y a beaucoup qui ont abandonné et je crois que ce n’est pas seulement au Burkina, le théâtre pour trouver un conjoint, parce que le conjoint disait tu choisis entre le théâtre et moi.
Et comme dans nos société la femme à un certain âge doit forcement être mariée, sinon elle n’est rien, n’a aucune considération, eh bien elle privilégie ça, parce que c’est notre éducation d’aller se marier au détriment du théâtre.
Quelque chose que l’on rencontre toujours est que la fille qui exerce le métier de théâtre est plus indépendante et plus libérée.
Et aux yeux de notre société la femme doit avoir une certaine tenue, attitude et comportement dans les lieux publics. Alors que la femme qui joue le théâtre le fait avec des hommes, on a pu casser cette barrière en jouant sur scène avec les hommes.
On taxe les femmes qui vivent une vie dévergondée alors qu’il n’en est rien de cela. Mais grâce aux événements au Burkina on a dépassé ça. Dieu merci aujourd’hui on a pu porter un autre regard sur la femme qui joue dans le spectacle des arts.

Vous avez joué dans A corps perdu de Kouam Tawa, Quarttet de Heiner Muller dans une mise en scène de Fargass Assandé, spectacle qui a été présenté ici à Niamey au CCFN Jean Rouch mais aussi une pièce comme Médée de Max Rouquette et bien d’autres. Dans quel  genre théâtral préférez-vous évoluer ? Contemporain ? Classique ?
J’aime le classique mais je rends hommage au contemporain. Mais pour moi le classique est comme un laboratoire de travail. Non seulement parce que les textes sont bien écrits, ce qui oblige l’acteur d’être dans l’exigence de la langue mais aussi parce qu’il s’agit des grands personnages dits monstres qui sont au delà de l’humain dont l’incarnation permet à l’acteur de travailler la dimension du jeu d’acteur.

Vous animez un stage de lecture à haute voix à de jeunes comédiens nigériens dans le cadre du festival Emergences. Pourquoi un stage sur la lecture ? Qu’est-ce que cela peut apporter de positif à ces jeunes ?
Quand Alfred m’a parlé de festival, j’ai bondi pour le rassurer de ma disponibilité à être utilisée. Certes il n’y avait pas les moyens mais je sais que le Niger vient de traverser une tragédie. Et je crois dans pareille situation il n’y a que les artistes pour relever la situation. Dans toutes les sociétés du monde  chaque fois qu’il y a une déstructuration sociale, un déclin, il n’y a que les arts pour ressusciter l’image du pays.
Le choix de la lecture se justifie par le fait que la lecture est fondamentale. Quand Alfred m’a chargé de choisir un texte, j’ai bondi sur ‘œuvre de Kourouma que je crois être la synthèse de l’Afrique d’après les indépendances et de tous les maux que l’on a connus et que l’on continue à connaitre suite à la colonisation.
Le théâtre étant le lieu de la parole, le comédien peut puiser dans la lecture pour continuer de travailler. Surtout qu’aujourd’hui nous le savons bien que les productions théâtrales ne courent plus les rues. Ça devient de plus en plus difficile. Un comédien peut faire un an sans monter sur scène. A quel moment se réclame-t-on comédien quand on ne joue pas. Comment continuer à travailler pour demeurer comédien même si on n’est pas sur le plateau. Voila  pourquoi je trouve la lecture fondamentale et même à l’origine du théâtre. Les grands auteurs classiques lisaient dans l’agora.
La lecture permet de continuer d’exister comme comédienne. Et Dieu seul sait que dans l’écriture classique comme contemporaine nous avons un trésor enfoui qui a passé en revue toutes les questions qui sont encore d’actualité. Cela est valable non seulement pour les comédiens mais aussi pour construire l’Afrique d’aujourd’hui.
Passer de l’écriture de la matière morte à la matière vivante, et qu’un auteur n’existe pas s’il n’est pas lu. Aussi un texte littéraire n’a aucune importance s’il n’est pas partagé avec un public.

Odile, une dernière question. Quelles appréciations faites-vous de l’évolution du spectacle théâtral en Afrique ?
C’est une grande question, je vais être franche, je crois que le théâtre africain comme partout au monde (même si ailleurs avec les moyens qui y sont mais il y a un semblant de faire du théâtre qui existe et qui rencontre du public et qui est encore vu), tel n’est pas le cas en Afrique, ou la crise a fait qu’il n’y a pas de grande production.

Petit à petit les acteurs eux-mêmes sont allés dans la facilité. On est allé dans des sites qui sont pour moi un peu légers. On est allé dans l’humour, le théâtre humoristique, les feuilletons basés sur l’humour. Ça fait rire soit, mais pour moi ça affaiblit le théâtre parce que quand les acteurs vont la bas pour gagner leur pain quotidien, c’est facile et d’accès facile, ça demande moins de travail. Donc tout le monde court la bas et le théâtre en prend un coup. Il n’y a  plus de grande formation comme à l’époque des comédiens aguerris. Le théâtre a beaucoup reculé parce que les acteurs ne sont plus formés, on joue, on est dans l’à peu prés du jeu sur scène. Et tout le public est allé vers les feuilletons. Personne ne vient dans les salles sauf pendant les festivals où on fait du tapage.

C’est vraiment très complexe. C’est un ensemble des choses et de faits qui font que le théâtre africain régresse. Mais je reste optimiste. On a dit il y a un siècle que le cinéma va venir tuer le théâtre. Il est arrivé et il a même pris de l’avance sur le théâtre. Mais le théâtre est toujours vivant parce que ça reste un art vivant. Un art où on a sur scène quelque chose de concret. C’est pourquoi je reste optimiste quand on fait le diagnostic du théâtre, je dis toujours que le théâtre ne peut pas mourir parce que c’est particulier justement avec son interaction, ce qui l’empêchera de mourir.

Interview réalisée par Issa Mossi

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